Mort assistée, du rôle du corps médical

Passionnant débat la semaine dernière sur France Culture sur la mort assistée. L'émission d'Alain Finkielkraut est vraiment un sacré remue-méninge, et sans pour autant me sentir directement concerné par la question, il est impossible d'y être insensible. Nous avons tous, à tous les âges, un rapport à la mort qui change, selon que nous soyons des enfants, de jeunes adultes, des adultes en responsabilité, ou des seniors, selon notre proximité avec le défunt. Je ne vais pas parler ici du droit et du comment le mourant peut exprimer sa volonté de mourir ou pas, c'est un autre sujet, lui aussi loin d'être simple.

Je me souviens de la mort de mes grands mères et de ma belle mère qui toutes les trois sont parties lentement, atrocement lentement. Et lors de ces départs, le regard sur ce temps, cette lenteur, totalement différent selon la personne qui y assistait. Le corps abandonnait. La mécanique biologique refusait d'aller plus loin en dépit des efforts de la médecine. Ces efforts qui objectivement pouvaient même être considérés comme de l'acharnement thérapeutique, et pourquoi pas en étant cynique un acharnement économique[1], se traduisait par une lente agonie, douloureuse pour le patient, mais aussi pour ses proches, tout juste supportable grâce la magique morphine.

Et pourtant, et pourtant. En dépit de cette lenteur presque sadique à maintenir en vie un corps que l'on savait tous avoir abandonné, ce n'est pas cela qui comptait. Les mêmes qui auraient sans doute refusé avec véhémence ce traitement pour eux, le soutenaient pour cette personne, et non plus ce corps. Car ce n'est pas le corps que l'on aime, mais la personne, les interactions que l'on a eu avec, la mémoire que l'on en a[2]. C'est la personne que nous ne sommes pas prêt à abandonner, à laisser partir, oubliant souvent que sans corps, il n'y a plus d'interactions.

Plus le lien est fort, plus le regard porte sur la personne et moins sur le corps. Un qui avait tout fait pour maintenir en vie coûte que coûte sa mère, se plaignait que le médecin ne faisait rien pour aider sa belle mère à partir. Un autre après une docte explication des tenants et aboutissant du traitement, qui s'effondre en larme en disant "je ne veux pas qu'elle parte". La mort ne concerne pas que le mourant. Les vivants qui restent ont besoin de temps pour s'approprier la mort. Pas tous le même temps.

Une des question compliquée de la problématique de la mort assistée au delà du changement nécessaire de la loi, est le rôle des soignants. Dans notre société qui a médicalisé la mort, ce sont les médecins qui choisissent par exemple le dosage subtile de la morphine, qui d’effaceur de douleur, peut aisément devenir effaceur de vie[3]. Et pourtant, les soignants sont là pour soigner, pas tuer, même si parfois la limite est difficile à discerner dans les phases terminales de la vie[4] Le médecin n'a pas d'attachement émotionnel avec le patient. Il fait partie des personnes les plus éloignées du mourant, et pourtant son rôle consiste aussi à tenir compte des vivants alors qu'ils ne sont pas ses patients.

Le corps médical se retrouve forcement au cœur de ce débat sur l'assistance à la mort, en étant le plus à même techniquement de la délivrer dans de bonne conditions, respectueuses du patient, mais aussi engoncés dans d'énormes contradictions éthiques et financières. Pour en sortir il faudrait inventer une nouvelle spécialité médicale, spécialisée dans l'assistance au départ, qui soit bien séparé des soignants. Mais est-ce bien réaliste ?

Notes

[1] Rappelons nous que maintenir quelqu'un en vie à tout prix rapporte beaucoup plus que d'y mettre fin...

[2] Notre cerveau se fiche un peu de à quoi ressemble le support de mémoire et conserve le lien avec le passé, même quant le présent change d'aspect.

[3] Le moyen le plus simple de faire mourir quelqu'un sans le faire souffrir, consiste a augmenter le dosage de morphine, provoquant un endormissement et un arrêt cardiaque.

[4] Sans oublier le conflit d’intérêt du médecin qui fait gagner de l'argent à son hôpital en maintenant en vie un mourant, dans un mécanisme de financement à l'acte.

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Commentaires

1. Le dimanche 23 juin 2013, 00:55 par laurentin

C'est triste en France j'ai l'impression qu'on n'a plus aucune chance de mourir chez soi, on meure toujours à l'hôpital.

2. Le dimanche 23 juin 2013, 11:19 par Cedric Augustin

@laurentin: en fait c'est plutôt l'inverse. Face aux coût de la mort à l'hôpital, il y a un retour vers un accompagnement à domicile, beaucoup moins coûteux et plus facile pour la famille et le mourant. Les technologies sont plus simples à mettre en œuvre. Peut être tendra-t-on vers quelque chose d'un peut plus équilibré que le tout hôpital, mais bon, c'est encore marginal.

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