Ça y est, on y est. Il y a encore quelques années, le titre de ce billet aurait été "La vérité est-elle une opinion comme les autres ?" et aurait put être un sujet du bac. Mais aujourd'hui, ce n'est plus une question. On peut l'affirmer. Comment en est-on arrivé là ?
Dans un monde où la recherche de la vérité n'est plus un prérequis à l'information, où les éditorialistes sont plus écoutés que les journalistes, où les corps intermédiaires sont totalement discrédités, inaudibles et court-circuités (élus, syndicats, associations), où les scientifiques sont remis en cause par des incultes, les opinions deviennent des vérités.
Les réseaux sociaux destructeurs de vérités
Les réseaux sociaux (facebook, twitter, snapchat, instagram...) amplifient le phénomène en donnant le même poids à toutes les sources, la légitimité étant construite par la popularité et non le contenu ou le travail de construction. En quelques années, disons 5 ans, la valeur de l'information a complètement changée. Depuis des décennies, les sources de vérité mettaient du temps à se construire, à devenir légitimes, en général par l’acquisition d'une expertise sur le sujet et par la construction d'une crédibilité basée sur le temps long.
A l'ère de l'instantanéité et de la recherche d’audience permanente, le temps médiatique n'est plus compatible avec le temps de l'investigation, de la recherche, de l'établissement des faits et des preuves. La vérité est trop longue à construire, à expliquer, à transmettre.
Dans le même temps, les lecteurs ou auditeurs ne sont plus à la recherche de la vérité mais d'une information divertissante (infotainment) ou émotionnellement riche (polémique, scandale, tragédie). Le temps long de la vérité n'est que partiellement compatible avec cette économie du divertissement ou de l'émotion à tout prix.
Temps de cerveaux et économie de l'attention
Les média qui ont des contraintes économiques, vont avoir à arbitrer entre l'investigation et le buzz. Devinez qui va perdre à chaque fois ? Économiquement parlant, la vérité et sa recherche n'est rentable que pour approvisionner de la polémique. Dans une économie de l'attention où les auditeurs, lecteurs ou téléspectateurs n'ont qu'une capacité limité d'attention ou de temps, comment la capter avec de la complexité, de la remise en contexte, des explication nécessitant de la culture ? Nayons aucun espoir, pour la masse, le temps long de l'expertise et de l'investigation n'est plus intéressant, donc économiquement non rentable pour financer sa construction.
La vérité est devenue juste une opinion, comme une autre.
On peut donc l'ignorer, la mépriser, la remettre en cause comme les milliers d'autres opinions. La vérité n'a plus aucun statut particulier:
- Les journalistes, du moins ceux d'investigation, avaient pour missions de rechercher la vérité, en s'appuyant sur des données factuelles, en les remettant en perspective, afin de construire un récit étayé. Leur propos n'a plus grande valeur, et n'importe qui, qui dispose d'une parole publique peut les remettre en cause, sans même avoir besoin de fournir un travail d'analyse puisque plus personne ne consacre du temps à prendre connaissance des analyses.
- Les scientifiques, grâce à leurs expériences, leur accumulation de connaissances et de compétences, étaient avant tout des chercheur de vérité. Leur expertise est mis au même niveau que n'importe quel publication sur le net pondu par n'importe qui avec quelques mots compliqués pour enfumer.
Toutes les opinions, un peu sexy, notamment lorsqu'elles sont du domaine de l'émotion ou de la théorie du complot, supplantent les vérités académiques, les vérités de l'investigation, les vérités de la raisons.
Les vérités sont remises en doute par leur propre méthode de validation
Les mécanismes qui existent pour laborieusement construire une vérité en s'appuyant sur des remises en doute, des preuves, des expériences, des croisements d'informations, bref du travail, sont ignorés, et ne servent qu'à étayer le fait qu'une vérité n'en est pas une et que ce n'est qu'une opinion.
Par exemple, l'âge du premier humain sur terre est une donnée scientifique qui a beaucoup évoluée en fonction des techniques scientifiques pour l'évaluer. Il y a une convergence du monde scientifique, des variations à la marge, mais grosso modo, toute la communauté scientifique aboutie par une manière ou une autre à la même vérité, qui se chiffre, selon comment on lit, à 200 000 ans pour l'homme moderne, et environ 2 millions d'année pour ses ancêtres. Pourtant, on trouve des textes qui expliquent que les humains existent depuis 10 000 ans (par exemple ici).
Si on était habitué à ce genre de distorsion de la vérité avec les religions qui ont souvent du mal avec la vérité scientifique, aujourd'hui, la foi n'est plus la seule raison de la remise en cause du discours scientifique comme le montre les propos du président des USA, Donald Trump sur le réchauffement climatique.
Et maintenant ?
La vérité est donc traitée comme une opinion par beaucoup de canaux de diffusion de l'information. Certains canaux vont continuer à la servir, mais de moins en moins accessible, de plus en plus réservée à une élite qui aura soit les moyens financiers, soit une expertise rare. La vérité va devenir de plus en plus difficile d’accès au grand public, ce qui est incroyable au moment où, avec les outils numériques, elle devrait être la plus accessible. On est loin de ce que les inventeur de l'internet libre rêvaient.