La mécanique de notre société est grippée

Les mécanismes

Dans le livre de Thierry Crouzet, Le peuple des connecteurs, il reprend en introduction du chapitre 4, "Ne pas promettre", une citation de Jacques Ellul :

La mort d'Hitler n'a supprimé ni les camps de concentration ni la torture. Hitler n'avait fait que cristalliser à un moment donné les aspirations d'une société. C'est pour cela que même s'il existe, le chef d’orchestre ne m'intéresse pas parce qu'il est accidentel. Ce qui m'intéresse, ce sont les mécanismes.

J'ai voulu reprendre cette citation pour illustrer une idée qui me trotte dans la tête concernant l'impuissance actuelle des élus et probablement des futurs candidats s’ils sont un jour élus, à agir. La complexification de notre société la rend de plus en plus dur à gérer avec les méthodes employées, héritées ou imposées par l'organisation administrative.

En effet, l'organisation pyramidales de notre société avait tout son sens il y a 2 générations. Elle a contribué à la force de notre économie et de notre démocratie depuis près de 2 siècles. Mais nous vivons depuis la fin des années 60 une accélération de la transformation de notre société, qui devient une vraie mutation depuis l'avènement de l'ère de la communication bidirectionnelle telle qu'internet nous en donne les moyens.

Les citoyens ne veulent plus se contenter d'être des extrémités dans l'organigramme social, mais bien des nœuds au même titre que les autres. L'organisation pyramidale n'est pas en mesure de gérer ces attentes et peut même devenir une source de frustration pour l'individu à qui les médias de masse fond croire qu'il ne fait pas partie de la masse.

Épuisement du système

Les organisations pyramidales sont donc en danger et elles se raidissent sur ce qu'elles savent faire, à savoir diffuser du haut vers le bas de plus en plus de messages, et synthétiser à outrance jusqu'à en perdre tous sens les remontés de la base. En ce sens elles contribuent à un appauvrissement des messages dans les 2 sens et surtout à l'élagage de toutes les branches neuves qui pourraient donner de nouveaux fruits innovants.

L'exemple type est le Grenelle de l'environnement dont les débats participatifs n'ont eut de débat que le nom et de participatif que du point de vue des acteurs déjà en place. La synthèse impossible n'a pas apportée plus que ce que n'importe qu'elle commission aurait pu pondre. Inutile de réunir des dizaines de milliers de personnes pour annoncer que les gaz à effet de serre sont mauvais pour l'environnement et qu'il faut les réduire. On a vu dernièrement comment le gouvernement tien compte de la souris dont a accouchée cette montagne, tout particulièrement avec les OGM, magistral foutage de gueule.

Décréter que l'on va faire des économies, ou que la croissance va repartir, sont des âneries que seul le beau papier enrubanné dans lequel les drape la communication présidentiel permet de les faire passer avec aussi peu de réaction.

C'est à la méthode, aux comportements, aux réseaux humains qu'il faut s'adresser.

Notre société occidentale s'organise dans des modèles pyramidales de plus en plus rigides, qui ont de moins en moins de capacité de réaction. Ces organisations pyramidales que l'on retrouve dans toutes les administrations ou entreprises, et qui sont notre culture, parviennent de moins en moins à répondre aux problèmes. On peut même se demander si elles ne les entretiennent pas.

Évolution possible ?

La question se pose de notre capacité à changer de modèle d'organisation, de société. Toutes les belles théories sur l'organisation en réseau, l'auto-gestion, le fonctionnement en cellule ou nodules interconnectés... sont limité par la réalité quotidienne. On ne rejette pas une culture, une organisation qui a fait ses preuves et qui fonctionne encore, du jour au lendemain. On n'impose pas un système dont la très grande majorité des citoyens n'est pas en mesure d'accepter dans le meilleur des cas, de comprendre dans le pire. Il faut emmener le plus grand nombre et pas se contenter de ne parler qu'à une minorité.

La question se pose alors de la période de transition entre le passage d'une culture pyramidale à une culture en réseau. C'est cette transition que nous vivons en ce moment, initiée par la révolution portée par l'internet.

Un exemple ?

Même si cela ne concerne qu'une minorité de citoyen, le citoyen acteur se banalise et touche des gens qui n'auraient jamais été militants autrement, que ce soit dans une association, un syndicat ou un parti politique. Connecté entre eux, les citoyens acteurs et les militants de toutes sortent commencent, doucement à se ré-approprier en partie une capacité d'action démultipliée par la synergie du réseau. Comme toute révolution, c'est toujours une minorité qui emmène avec elle la majorité.

Contrairement aux précédentes révolutions, il n'y a pas que l'élite intellectuel ou financière qui pourra agir dans cette révolution en douceur. Tout citoyen acteur peut agir. Un gravier, une pierre, chacun participe à la construction du mur.

Comment ça marche ?

Le principe s'inspire du marketing viral. Vous êtes tout un chacun un nœud dans un réseau d'une cinquantaine de personne en moyenne[1]. Si la moitié sont connectés et 1/4 sont des citoyens acteurs[2], vous imaginez votre capacité de propagation instantanée ! Là où il fallait des jours, voir des semaines pour faire circuler une information qui n'était pas relayée par la presse, en quelques heures, celle-ci fait le tour des citoyens acteurs. La campagne présidentielle a été typique avec la vidéo de Ségolène Royale critiquant les profs, vue plus d'un million de fois en moins de 48h, quasiment tous les possesseur d'une adresse email ayant reçut d'une connaissance le lien pour la visionner.

Et c'est là toute la puissance de l'internet mis au service du citoyen acteur. En effet à l'ère de la communication de masse, le téléspectateur est un consommateur d'information et pas un acteur. On le séduit, on le distrait, on rend son cerveau disponible, on lui donne ce qu'il veut, pas forcément ce dont il a besoin. Tout le contraire du média en réseau internet, qui est personnalisé à outrance, puisque c'est le citoyen acteur qui devient l'acteur de son information et surtout de celle des autres, en produisant, commentant ou relayant.

Exportable aux organisations ?

Cette mutation de l'information qui est en train de se faire est-elle exportable aux organisations ou aux entreprises ? Pas immédiatement et pas à l'identique, mais j'aime à penser que oui, mais avec des gens un peu entreprenant.

Le principe consiste à fractionner les entités en cellules de structure similaire, plus ou moins spécialisées. Chaque cellule doit disposer d'un organe de communication avec les autres cellules, avec toutes les autres cellules de l'organisation. C'est l'élément le plus important. En effet contrairement au système pyramidale ou chaque nœud ne communique qu'avec le nœud du dessus et ceux du dessous, dans un système en réseau, il faut que la communication soit multidirectionnelle, sans hiérarchisation. L'organe de communication filtre et est en charge de l'économie de l'information et de l'économie des services et marchandises avec les autres cellules. Une cellule doit être économiquement à l'équilibre.

Il faut aussi accepter certaines redondances et ne pas rechercher une efficacité absolue immédiate. L'idée est ici d'obtenir une plus grande efficacité par élimination progressive des cellules moins performantes[3].

Selon la même logique, une organisation peut être une cellule d'une meta organisation.

Dans cette approche, l'organisation pyramidale est possible au sein de la cellule, mais pas forcément obligatoire. Ainsi, en partant de grosses cellules et en en réduisant progressivement la taille, il est possible de conserver une organisation pyramidale transitoire.

Notes

[1] L'humain est un animal tribal, dont la capacité cognitive le limite à une cinquantaines de relations en moyenne. Vous avez sans doute un carnet d'adresse plus remplis que cela, mais guerre plus de relations maintenu, sauf à être un connecteur.

[2] 1/4 c'est beaucoup, mais je suis utopiste.

[3] On entant par élimination, non pas la mise au placard des individus, mais un recyclage dans d'autres cellules ou une requalification de l'organisation interne de la cellule. Un processus darwinien de sélection naturelle en quelque sorte. L'organisation fonctionnant à effectif constant, il y a donc déplacement des ressources, les individus, d'une cellule à l'autre en fonction des besoins ou des évolutions.

Partager Partager ce billet sur les réseaux sociaux

Commentaires

1. Le vendredi 23 mai 2008, 21:19 par AS

Nous pourrions discuter longuement sur ton article et je suis d'accord sur beaucoup de point.
Un qui m'inqiète est justement celui qui te rejouit la capacité de propagation par internet. Communiquer et faire faire le tour du monde à une information est fabuleux .... sous réserve que l'information soit vraie.
Internet est aussi un instrument fabuleux pour la désinformation, les fausses nouvelles, la médisance, source inconue, trajet inconnu la dispersion à tout vent me semble à la fois source de richesse mais de très grand danger.
De plus même dans une organisation en réseau le principe de Peter continuera de s'appliquer.

2. Le vendredi 23 mai 2008, 21:35 par Cedric Augustin

Pour ce qui ne savent pas ce qu'est le principe de Peter (Merci AS): fr.wikipedia.org/wiki/Pri...

@AS : les récents actualité autour de la prétendue mort de Pascal Sevran annoncé par Elkabach sans même avoir vérifié l'information, illustre que même ceux qui sont supposés "vérifier" l'information ne le font pas toujours.

Cette incompétence ou impossibilité de faire bien, combien de fois observé, des professionnels de l'information ne pouvait être remise en cause avant l'internet, puisque à part le courrier des lecteurs, personne ne corrigeait les erreurs. La force du net est justement la possibilité de corriger. Si une rumeur peut se propager très vite, elle peut aussi être démentie à la même vitesse. C'est ce principe d'auto-régulation de la blogosphère et des sytème participatif comme wikipedia qui en font leur richesse.

Rapporté à une organisation, une cellule qui distribue de la mauvaise information se verra isolée par les autres cellules, son information n'étant plus relayée ou écoutée. Plus le système a de redondance, plus il y a compétition et donc obligation de qualité pour ne pas risqué d'être démantelé.

3. Le vendredi 23 mai 2008, 22:06 par AS

Voeux pieux - j'aimerais y croire les cellules atteintes peuvent être isolées mais .. il y a des cellules malignes ... le cancer, qui se développent.
Réflexion sur l'histoire : 1789 avec internet, le nazisme avec internet ?
que ce serait-il passé ?.
Je pense que finalement il n'y a pas trop à s'interroger - internet maintenant est un fait on ne reviendra pas en arrière et cela entraînera obligatoirement avec le temps une modification des comportements et des relations.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet