vendredi 12 juillet 2024

Le web ne sera bientôt plus le web

Mon blog est protégé par différent anti-spam depuis des années, donc à part si un humain le fait, normalement, tous les commentaires louches passent à la poubelle. Jusqu'à maintenant, l'essentiel du spam concerne des sites pornographiques ou d'arnaques, très majoritairement en anglais. Nouveaux arrivants depuis quelques mois, les spams en cyrillique avec des liens vers des site russes . Ils sont apparus dès que j'ai évoqué Poutine et la guerre en Ukraine. Il y a donc des bots qui surveillent les contenus et répondent dans les commentaires.

Le web que nous avons connu risque de bientôt disparaître, submergé par du contenus généré par des bots dopés aux IA génératives. Les blogs ont déjà été passablement anesthésiés par l'émergence des réseaux sociaux, ils devraient d'ici peu être définitivement noyés par les IA génératives sous des tombereaux de commentaires ou de sites générés afin de gruger les moteurs de recherches.

Les contenus produits par de vrais humains vont devenir introuvables sur le web libre, et il est probable qu'ils migrent vers des espaces protégés qui par essence auront tendance à être payants. Certes la liberté de parole ne disparaîtra pas stricto sensu, car n'importe qui pourra toujours dire n'importe quoi, mais les propos humains seront de petites bouées dans des océans de contenus générés ou agrégés. Ils seront donc statistiquement de moins en moins accessibles, et ceux qui continueront à les produire, voudront les protéger, les différentier et donc s'isoleront sur des plateformes dédiées aux humains, avec filtres et contrôle, qui auront un coût.

Une époque de liberté est en train de disparaître. Pas la peine d'être nostalgique, le web évolue, comme un être vivant. On pourra discuter du bon ou du mal de cette évolution, mais elle est inéluctable et il faudra faire avec.

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jeudi 13 juin 2024

Le numérique et l'enseignement

L’auteur Ploum a produit sur son blog un très intéressant billet Petite écologie de l’éducation et de l’informatique où il traite entre autres de l’enseignement de l’informatique à l’école et de l’importance en démocratie que les citoyens comprennent ce que cela recouvre.

Le numérique chez les profs

J’ai pas mal de point d’accord avec Ploum, notamment le fait que les enseignants sont mal, peu ou pas formé à l’usage du numérique. Je pourrais dire pour leur défense qu’ils ne sont pas pires que le reste de la population. Alors oui ils sont censés, en tant qu’enseignants, s’auto-former pour pouvoir transmettre des compétences et des connaissances au goût du jour. Certes, certes, mais si vous dites cela à un enseignant de Français, il vous dira que son métier c’est d’être au point sur l’enseignement du français et pas du numérique. Et c’est la même chose pour la plupart des matières.

Il existe des formations qui sont proposées aux enseignants. J’en ai suivi une transversale dont le thème était de former les futurs citoyens numériques (ou un truc dans le genre). Le public présent à cette formation était pour moitié des gens qui se posaient déjà la question, donc pas ceux forcément qui en avaient le plus besoin de mon point de vue.

Faire évoluer les apprentissages

Mes discussions à la cantine ou en salle des profs sont aussi très éclairantes sur l’inculture numérique. Je vous donne un exemple, essayez de parler d’IA à des profs et la majorité voient cela comme un problème à proscrire de leur classe, une raison de supprimer les écrans et pire que tout, de ne pas donner de travail à la maison aux élèves. La question de comment intégrer ces outils dans les apprentissages est systématiquement oubliée.

Et c’est la même chose avec l’usage du smartphone ou des tablettes en classe. Comment remettre en cause un fonctionnement existant depuis des décennies quand les élèves acquièrent plus vite les outils que les enseignants ? C’est une remise en cause du rôle de l’enseignant, une mise en danger que personne n’a envie de vivre devant une classe. Les élèves, par essence, trouvent toutes les failles de leurs enseignants. Construire une séance avec des outils numériques connectés entre eux et être capable d’évaluer chacun des élèves est un challenge que j’ai pour ma part du mal à relever et pourtant je ne suis pas maladroit avec les outils numériques.

Utiliser son intelligence à tricher plutôt qu’apprendre et comprendre

Il faut bien se mettre en tête que les élèves sont pour plus de la moitié non pas là pour se former, mais là pour obtenir une note suffisante pour avoir la paix. La triche ou le contournement sont donc généralisés et le mode de fonctionnement par défaut. Ces élèves contournent ou trichent, même lorsqu’il n’y a pas d’évaluation, parce que c’est devenu le fonctionnement normal. Les outils numériques sont parfaits pour atteindre cet objectif.

L’enseignant que je suis, se retrouve devant le dilemme de brider la créativité des élèves pour assurer une équité des évaluations, ou fermer les yeux (car ils sont nuls en plus lorsqu’ils trichent) pour encourager la découverte et l’appropriation des outils numériques, notamment pour les meilleurs éléments.

Je vous donne un exemple : je propose un exercice de programmation non noté. La majorité de la classe est en difficulté. Je fais la correction avec explication. J’efface le tableau et leur demande de le refaire. Certains ont photographié la correction, et ont utilisé un outil de Google pour extraire le code de la photo, et partagent le résultat sur le groupe whatsapp de la classe et sur un outil collaboratif en ligne. Pédagogiquement parlant, c’est intéressant comme utilisation des outils numériques et comme travail collaboratif, mais du point de vue de la programmation, c’est nul. Faut-il pour autant interdire le smartphone en classe ? J’ai choisi que non, mais la conséquence c’est que les écarts de niveau entre les élèves s’accroissent. Il va falloir trouver une mesure pour ne pas perdre les élèves qui accumulent du retard en pensant que tricher suffit.

Autre exemple: les élèves ont une évaluation de 3h durant laquelle ils doivent réaliser une simulation similaire à celle faite en TP. Ils ont accès à internet et à tous les documents de cours dont le TP. En rendant le TP pour l’évaluation, ils ou elles sont assurées d’avoir 8/20. Un seul élève l’a compris. Les autres élèves faibles se sont tous démenés pour récupérer le travail des autres, certains sans même se fatiguer à cacher l’origine. Du coût j’évalue quoi, la capacité à récupérer un fichier avec une messagerie (compétence collège), ou la capacité à réaliser une simulation (compétence terminale) ?

Les IA générative aggravent le processus

Puisque les élèves ont pris le pli de d’abord essayer de tricher pour garantir une hypothétique note, plutôt que de réfléchir, vous vous doutez bien que l'avènement des IA génératives qui sont massivement utilisées, ne va pas arranger les choses. Comment convaincre un élève qu'il doit faire des recherche et s'approprier le sujet pour son oral de BAC, quand ils et elles croient qu'il suffit de poser la question à n'importe quelle IA générative genre ChatGPT, pour s'en sortir. La séduction de ces outils est juste trop forte. Un outil qui fait en 15s ce qu'ils n'arrivent pas à produire en 6h, même avec l'aide d'un enseignant bienveillant qui leur mâche le travail en leur fournissant les mots clé, les renvois aux éléments de cours, voir même le plan.

Les bons éléments ont compris qu'ils ne seront à l'aise à l'oral que s'ils sont les auteurs de leur propos, et que les IA générative ne peuvent être que des outils de type "super moteur de recherche" pour ouvrir à un maximum de sources d'information à digérer. Les élèves médiocres penseront qu'il leur suffira de recracher la synthèse faite par l'IA, et se feront gentiment, et avec plein de bienveillance, exploser à l'oral, par des enseignants qui veulent évaluer des élèves qui ont fait le job et pas des perroquets.

Les IA génératives sont également très douées pour produire du code simple. Comment convaincre mes élèves qu'ils peuvent copier/coller n'importe quel code sur internet ou venant d'une IA générative, à condition d'en comprendre toutes les lignes. Avec leurs habitudes du résultat plus important que la compréhension, ils me répondent systématiquement "mais ça marche monsieur". J'ai beau leur dire que je leur enseigne la capacité à comprendre et pas à produire du code que n'importe quel programme peut faire mieux qu'eux, vu leur niveau, je ne touche qu'une minorité des élèves.

Tout ça pour dire qu'il va falloir inventer de nouvelle forme de pédagogie incluant ces outils, mais il y a du taf et les mauvaises habitudes ont la peau dure.

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mercredi 12 juin 2024

Les IA inventent des citations fausses d’auteurs réels

Dès l’émergence de ChatGPT, il est apparu qu’une IA conversationnelle pouvait inventer du contenu, ce qui est un peu ce que l’on attend d’elle, mais aussi des références. Un avocat qui avait demandé à ChatGPT de lui produire sa plaidoirie s’est retrouvé avec des références à des articles de loi tout à fait crédibles mais absolument farfelues. Il s'est fait explosé au tribunal est a gagné en notoriété grâce à ce bad buzz.

On retrouve le même problème pour les sources d’un propos, qui sont attribuées à n’importe qui. C’est l’expérience qu’à vécu Émilie M Bender, qui s’est vu attribuer des propos qu’elle n’a jamais tenus par une IA générative. Un nouveau média, Biharprabha, dont le contenu est généré non pas par des journalistes mais par une IA générative, a mis en ligne un article prêtant des propos faux à Émilie M Bender. Celle-ci se retrouve donc cité comme auteur de propos qui entache sa crédibilité de scientifique, totalement à son insu. Ce n’est que par ce qu’elle fait une veille des articles la citant qu’elle l’a découvert.

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mardi 5 mars 2024

Démocraties en danger face à l'industrialisation de la désinformation

Même si j'ai complètement débranché de la politique en ce moment, je reste un citoyen attentif. Chaque fois que je regarde, même de loin, la politique je suis affolé par la tournure que prennent les choses.

Dénigrement comme seul message politique

Le format médiatique impose les phrase courtes et percutante. La construction d'une pensée complexe n'intéresse pas les média ou les réseaux sociaux, car cela n'intéresse pas non plus la grande majorité des spectateurs de ces média.

On se retrouve donc avec des oppositions qui n'ont plus de projet politique autre que de casser les actions du gouvernement, non pas forcément car ils n'ont pas d'opinion construite (quoique pour certains on a des doutes), mais parce que ce n'est pas ce que les média ou RS veulent retenir de leur propos. Dans un format ultra concis, il ne reste que le dénigrement de l'action du gouvernement ou des institution et il n'y a plus la place pour élaborer une critique.

Les média, les RS et les politiques qui veulent exister dans ces formats, entérinent une forme de communication politique sans plus aucun contenu. A l'heure de la petite phrase sans nuance, comme seul format, ils créent eux même le rejet de la politique, considérée comme vide de tout sens, et créant du rejet épidermique des messages politiques qui ne sont même plus écoutés. Seules les réactions émotionnelles aux messages politiques deviennent de l'information, et de part leur nature ne laisse aucune place à la nuance.

Manipulation en France

Dans ce paysage médiatico-politique qui se stérilise et éloigne du sens et des explications, les états dit illibéraux, disposent d'un levier fantastique pour influencer les opinions et mettre en difficultés les démocraties. On le sait avec la Russie de Poutine qui dispose d'une puissante organisation de désinformation qui cible toutes les démocraties occidentales. L'exemple le plus évident est bien sûr les campagnes délirantes de désinformation en Afrique pour nuire à l'État français, les soutiens financiers aux partis extrémistes français (le RN de manière ostentatoire ou LFI plus subtilement), le soutien et l'amplification par les fermes à troll de tout ce qui nuit au gouvernement (gilets jaunes et toutes les colères légitimes).

On savait les Russe de Poutine, expert dans ces actions de nuisance et déstabilisation de la France. Mais d'autres états, plus discrètement font de même. La Turquie l'a beaucoup fait par le passé. La Chine vient de se faire prendre ouvertement il y a quelques mois.

La Chine sème la désinformation sur les feux à Hawaii en utilisant des contenus générés par IA

Dans cet article de Courrier International citant le New York Times, on apprend que des groupes chinois ont exploité les feux qui ont ravagés Hawaï pour faire circuler des rumeurs sur une arme météorologique testée par les USA. Les textes et les images ont été créées en utilisant des IA génératives pour rendre le propos plus crédible.

Les IA permettent d'industrialiser la désinformation

Grâce aux IA génératives qui permettent de créer du texte dans la plus part des langues, en imitant le style d'un auteur, sur n'importe quel sujet, il va être quasi impossible au commun des mortels de savoir si une source est véridique. Même chose pour les images générées qui en quelques mois sont devenues de plus en plus réalistes. Il existe déjà des IA génératives capables de modifier des vidéos pour faire dire ce que l'on veut à une personne. En ce moment, les tous premiers films générés par IA sont en train d'être testés. Pour de courtes séquences, de celles que l'on utilise sur les réseaux sociaux, les IA génératives peuvent être crédibles.

Les IA génératives, couplées à des fermes à troll (des centaines de milliers de faux comptes sur les réseaux sociaux), sont donc en capacité de contourner les systèmes de détection des faux comptes, et de propager n'importe quel désinformation. Il est donc possible de manipuler les opinions, de soutenir et d'amplifier des courants d'opinion très minoritaires en les propulsant à des niveaux de visibilité disproportionnés, de propager des messages totalement faux avec beaucoup plus de force que les messages vrais, de déformer des propos réels pour induire en erreur et faire passer le propos erroné pour réel...

Nos démocraties sont en danger, car par essence une démocratie ne peut pas user de la désinformation comme le fait une dictature ou un état illibéral. Il y a donc une dissymétrie dans les mesures que peuvent prendre les démocraties pour se protéger.

Mal barrés

Je suis pour ma part très inquiet, surtout quand j'entends les propos que certains de mes élèves répètent sans problème. La guerre en Ukraine est un impressionnant terrain d'expérimentation de la désinformation, et les jeunes ne semblent pas très bien armés pour s'en protéger alors qu'ils sont déjà sensibilisé au problème. Autant dire que les aînés sont carrément des victimes en puissance. Nos démocraties sont en danger, et je ne vois pas comment mieux les protéger.

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