En moyenne, un étudiant français coûte à la collectivité 9370€ par an, avec de grosses disparités entre les filières et le niveau d'étude[1].

Dans d'autres pays comme les USA, les études supérieures sont financées par les parents, le crédit, ou des sponsors. Certains comme Eric Maurin de l'école des hautes études en sciences sociales, proposent que les étudiants qui suivent un cursus supérieur remboursent à la collectivité le prix de leurs études.

La question est ici éminemment politique et non budgétaire : le modèle français actuel part du principe qu'un étudiant est un investissement pour la collectivité qui s'y retrouvera par la suite grâce à ce que rapportera à cette même collectivité l'ex-étudiant. Le modèle proposé par Eric Maurin qui est une adaptation directe du modèle américain, pose comme base qu'un étudiant est un coût pour la collectivité et uniquement un investissement pour l'étudiant lui-même.

C'est tristement l'opposition entre individualisme et collectivisme, ou pour utiliser des mots en isme plus tendance, libéralisme et communisme, mais appliqué à l'éducation. Notre pays pourtant libéral dans bien des domaines, a dans ses gènes depuis des siècles une idée de l'éducation comme un bien commun.

Investissement collectif

Dans le premier cas, la formation des individus sert la collectivité. C'est l'idée portée notamment par les états communistes qui ont tous investis dans la formation de leurs citoyens. À Cuba par exemple, l'illettrisme est quasiment éradiqué. Sans aller aussi loin, c'est aussi l'idéal de Jules Ferry et de la France, en imposant l'école à tous. Nous avons aussi exporté cette idée de l'école pour tous dans les pays colonisés par la France. Un système centralisé et à vocation universaliste.

Dans ce modèle, les élites formées ont des comptes à rendre à la société. C'est l'idée utilitariste, selon laquelle, il est utile à la collectivité d'avoir des citoyens formés et de vrais élites qui gagnent leur place et n'en héritent pas. Pour ce faire l'état est dirigiste, il défini des besoins de formation pour la collectivité et des programmes pour répondre à ces besoins[2].

Investissement personnel

Dans ce cas, l'individu (ou sa famille) investi dans sa formation dans un modèle compétitif, la formation étant un moyen d'être meilleur que les autres, et donc d'assoir sa position sociale. L'idée de collectivité n'a pas de sens. c'est un faisceau d'individualismes qui concoure à la structuration de la société. Dans ce modèle, l'état n'a même plus besoin de dépenser de l'argent pour la formation, il se contente de définir des modes de notation unifiés pour faciliter la mise en concurrence des différents moyens de formation (les diplômes).

Modèle français

Il est clairement inspiré du premier, collectiviste, avec des anomalies comme les écoles d'ingénieurs qui ne jouent pas dans la même catégorie que les autres filières de formation.

L'inspiration néo-libérale de notre président, fasciné qu'il est par le modèle américain, voudrait nous faire entrer dans le second modèle. C'est une connerie sans non, car ce n'est pas notre culture et nous n'en avons pas les moyens. Notre système d'enseignement n'est pas en capacité d'importer un modèle néo-libéral qui entre en conflit avec toute son histoire, sa richesse et ses faiblesses.

Et parce que c'est un choix idéologique, il a y fort à parier que les projets proposés de réforme de l'enseignement ne vont pas s'embarrasser d'universalisme. La solution la plus simple pour passer du système français au système américain, sans tenir compte de l'histoire, consiste encore une fois à réaliser une réforme comptable[3].

Réforme, mon oeil

Là où notre système éducatif a un besoin de réorganisation et de compétences, on lui répond réduction des couts et suppression de la formation des enseignants. Quant on demande à l'École de mieux former pour le monde du travail, on supprime des filières professionnelles sans proposer d'alternatives. Et quant pour couronner le tout, le ministre lui même stigmatise les enseignants aux yeux des parents en les appelant à la délation, on ne saurait trouver meilleur bâton dans les roues de l'institution.

Le problème de l'éducation nationale et des universités ne me semble pas être le budget, mais les compétences de l'encadrement administratif ou éducatif.

  • Les enseignants ont-ils les moyens que ce soit matériel, humain ou pratique de constituer des équipes pédagogiques ? Non, sauf à être capable de lever des montagnes ou d'avoir la chance d'être en ZEP[4].
  • Les projets pédagogiques sont ils ancrés dans des réalités professionnelles pour les filières professionnalisantes ? Bien sûr que non. Quel ministre proposera des stages obligatoires en entreprise tout au long de leur carrière aux enseignants[5]. Cela couterait trop chers. Qui s'engagera à ce que les matériels de formations aient leur entretient et renouvellement budgétisé dès le début ?
  • L'école[6] est elle encore un sanctuaire ? Comment voulez-vous qu'elle soit respectée lorsque les ministres ou certaine candidate à la présidence insinuent que les enseignants n'en foute pas une ? Comment voulez-vous motiver les équipes pédagogique lorsque la moindre sanction à un élève se fini devant un tribunal ?

L'institution est malade et notre gouvernement la méprise. Le président et une partie de son électorat privilégié ne souhaite pas partager les privilèges auxquels pourraient conduire la formation.

C'est un modèle de société qui est en jeu : investir dans l'humain (humanisme) ou promouvoir l'élitisme (sans garantir l'égalité qui est le pré-requis).

Notes

[1] 7210€/étudiant/an en université, 13940€ en classe préparatoire, à comparer aux 22000€ aux USA.

[2] Numerus clausus à l'entrée de filières, programmes scolaire unifié...

[3] Encore une fois j'adore les comptables lorsqu'ils font de la comptabilité, mais pas lorsqu'on leur demande de définir la marche d'une entreprise ou d'une administration. Chacun son job.

[4] Zone d'éducation prioritaire, qui ont été supprimées ou réduite comme peau de chagrin.

[5] Jean François Khan disait la même chose des journalistes qui devaient retourner sur le terrain.

[6] Par école j'entends ici l'espace de formation du primaire au lycée.