Mutation numérique de la société: une illustration avec la propriété intellectuelle

Je serais un des animateur du prochain Café Démocrate qui se tiendra à Nice Jeudi 08 mars sur le thème de la propriété intellectuelle. Je vous propose en avant première quelques unes des pistes que je proposerai au débat.

Mutation de la notion de propriété intellectuelle introduite par la mutation de notre société au contact du numérique.

Ce sujet n'est apparemment pas dans la lumière de la campagne et pourtant c'est un enjeux de société considérable car nous sommes à une époque charnière. En une génération, le numérique a envahi toute notre vie, de manière visible avec les ordinateurs, mais aussi totalement insidieusement dans quasiment tous les actes de la vie quotidienne. Lors de ce Café Démocrate, je vais essayer de restreindre le sujet à la propriété intellectuelle, qui n'est qu'un tout petit bout de la mutation numérique de notre société. Mais ce petit bout, notamment dans son application au monde la culture présente l'avantage d'être une bonne illustration des enjeux, que l'on a du mal percevoir.

Créateur/Producteur/Consommateur, une tranche de jambon qui se rebelle

Le monde de la création s'organise autour de 3 acteurs:

  • L'auteur ou le créateur d'une œuvre.
  • Le producteur ou facilitateur, qui est intimement lié au distributeur commercial.
  • Le "consommateur" qui regarde, écoute, touche, achète la création.

Or l'avènement du numérique ne pose pas de problème au premier et au troisième, mais uniquement au second. En effet, la création qui peut s'exprimer par un résultat numérique peut passer directement du créateur au consommateur. Les intermédiaires redeviennent des facilitateurs, facultatifs, et donc leur rémunération devient également facultative. On image facilement qu'ils n'entendent pas se laisser déposséder de cet avantage sans réagir !

Une génération qui ne connaît pas d'autre modèle que le partage et la pseudo gratuité.

Les générations d'avant internet (1995), grosso modo les + de 30 ans sont capables d'imaginer la société sans le numérique. L'économie de la possession d'un bien culturel leur est naturelle. Lorsque l'on achète de la musique, c'est avant tout sous la forme d'un disque. Les autres moyens ne sont que des dérivés. Ces générations acceptent donc sans rechigner les contraintes d'unicité de droit sur un bien culturel.

Pour les nouvelles générations, qui ont grandi avec le numérique, ce concept d'unicité d'un bien culturel est obsolète, et incompréhensible. Pourquoi un fichier que l'on peu dupliquer à l'infini sans altération de l'original devrait avoir de la valeur ? Dans un monde numérique, comment comprendre le concept de vol sur un objet que l'on peu dupliquer ? Partager une chose sans valeur est donc naturelle, pourquoi cela devrait-il est un crime ?

Parce que nos dirigeants sont tous d'une génération qui ne perçoit pas cette évolution, les démarches engagées par les pouvoirs publiques dans le domaine de la culture consistent à criminaliser une partie des nouveaux usages que nous offre la technologie numérique. Les échelles de valeur dans le monde numérique ont changées, mais ils ne s'en rendent pas compte (du moins la majorité).

Le copyright numérique, un concept très abstrait

Il n'y a pas que la technologie qui introduit des changement. Le droit aussi. Un objet numérique peut disposer de plusieurs licences d'utilisation, qui chacune représente un usage différent du droit d'auteur. Contrairement au monde réel où la propriété et donc l'usage d'un objet est unique, dans le monde numérique, il est possible de dupliquer l'objet, son usage et sa propriété: il est ainsi possible d'être l'auteur d'une photo et d'en disposer de tous les droits, tout en donnant les droits à une autre personne (morale ou réelle). C'est ainsi que fonctionne les réseaux sociaux, qui s'arrogent un droit de propriété de vos photos, sans pour autant vous en déposséder.

Les nouvelles formes de créations censurées

La création numérique a également démultipliée les possibilités de remix d'autres œuvres pour en créer une nouvelle. Le visuel de ce café démocrate en est un exemple:

  • Une image d'un film célèbre qui se passe dans un univers numérique, Matrix. Cette image a été retravaillée par un contributeur d'un forum, qui n'en donne pas la source, et modifié par moi pour obtenir la bonne couleur.
  • Une magnifique photo portant le nom de "Le pouvoir des mots", qui est disponible en libre usage.

J'ai combiné 2 œuvres qui sont chacune porteuse d'un message, dans une troisième porteur d'un nouveau message. cette nouvelle œuvre qui est un remix des 2 précédentes est une création. Cependant, les lois de la propriété intellectuelle font potentiellement de moi un contrefacteur, et donc un hors la loi, puis que je ne peux pas prouver que j'ai le droit d'utiliser la première image.

Il existe au Canada en ce moment un débat sur un assouplissement du droit, pour permettre la copie pour la création. Au Etats Unis il existe le "fair use". Mais rien de tel en France, si ce n'est peut être le droit de citation.

Des modèles économiques à construire.

Et là ce pose le problème de la rémunération des auteurs et créateurs. Dans le modèles antérieur, à chaque exemplaire une part de du produit de la vente revenait à l'artiste. Dans un système de copie illimité et de remix, comment assurer une rémunération à l'artiste ?

Aucun modèle économique de la création qui soit satisfaisant n'a encore émergé. On peut citer quelques exemples:

  • La licence globale (principe de la redevance TV ou de Deezer),
  • Les taxes sur le volume de données téléchargées (principe du minitel),
  • La publicité incluse (Mc Do dans le 5ème élément),
  • Le financement de la création par les fabriquant d'appareil (ex:lecteur MP3 préchargé) ou hébergeur (Dailymotion partage ses revenus publicitaire avec certains contributeurs).
  • La transformation du disque en support publicitaire pour les spectacles et émissions télévisées,
  • ...

Les politiques, leur perceptions et propositions.

HADOPI, LOPSI, ACTA...

http://www.laquadrature.net/fr/acta

Conclusion

Le numérique n'introduit pas des évolutions progressives comme toutes les autres technologies avant lui, sur une ou plusieurs génération. Les mutations qu'il insuffle à notre société se font en quelques mois, et nous vivons une époque charnière. La culture et le milieu artistique sont eux aussi confrontés à ces mutations ultra rapide, avec comme enjeux centrale la propriété intellectuelle, héritage obsolète ou précurseur, selon comment on l'aborde, mais qui lui aussi est en pleine mutation.

L'éviction des producteurs dans une partie du processus de création/consommation culturel est la source de tous les projets liberticides autour de la problématique du droit d'auteur. Les enjeux économiques sont aux manettes. Comme toutes les évolutions technologiques (imprimerie, cinéma parlant, télévision, disque, cassette...) le monde de la création a su s'adapter et le monde économique avec. Il faut laisser émerger les nouveaux modèles de création, de consommation et de monétisation de la culture, et pas les censurer.

Partager Partager ce billet sur les réseaux sociaux

Commentaires

1. Le mercredi 14 mars 2012, 14:31 par Cedric Augustin

En complément un billet sur le framablog sur le problème dans l'éducation nationale: http://www.framablog.org/index.php/post/2008/12/05/oeuvres-protegees-copyright-et-education-nationale

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet