Avec quelle majorité Bayrou gouvernerait-il ?

La question est une constante des interviews et des reproches faits par ses détracteurs : comment Bayrou, s'il était élu en 2012[1], ferait pour gouverner et avec qui ?

Changer de paradigme

La question en elle-même illustre l'incapacité des questionneurs à changer d'angle de vue au sujet du paysage politique.

  • J'ai déjà parlé à plusieurs reprises du fait que la politique et ceux qui la faisaient ne se situaient pas sur un axe gauche-droite, mais selon une multitude d'axes, dessinant un paysage politique multidimensionnel. Si l'on se donne la peine d'envisager les problèmes de la société et les solutions selon différents axes, alors il est possible de travailler avec des gens d'autres partis et d'autres horizons.
  • Le parlement européen ne fonctionne pas avec des majorités gauches-droites, mais avec des majorités circonstancielles, c'est-à-dire que selon le sujet abordé, les différents groupes au parlement forment des coalitions, qui n'existent que pour ce sujet. Ce mode de fonctionnement ne peut exister que si la pluralité existe au parlement[2], ce qui nécessite de faire entrer une part de proportionnelle dans le mode de scrutin.

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Le MoDem au cœur

L'idée que le Mouvement Démocrate pourrait disposer d'une majorité aux élections législatives qui suivraient l'élection présidentielle n'a pas de sens. Sur 577 sièges, si le MoDem en remportait 150, se serait déjà énorme, le nombre étant à mon avis plus probablement en dessous de 100.

En effet il ne faut pas oublier l'ancrage électoral de chacune des formations politiques. A la louche[3], l'assise électorale de l'UMP est autour de 30%, du PS autour de 25%, les extrêmes autour de 10% chacune, le MoDem 10%. Il reste 15% pour les indécis. Si on imagine 5% de variation et une dynamique présidentielle, le MoDem arrive jusqu'à 20%, si tant est que l'on peut parler de pourcentage dans un scrutin majoritaire,

Donc en toute probabilité, le MoDem serait le pivot mais pas le parti majoritaire à l'assemblée. Et c'est là que le propos de Bayrou prend du sens. En effet, si le parlement redevient le cœur de la vie politique, il va falloir constituer des majorités pour chacun des projets. Ni le PS, ni l'UMP ne pourraient justifier une obstruction systématique, puisqu'ils auraient la possibilité d'influer sur les textes. Les textes rejetés par l'un, seraient votés par l'autre qui accepterait de négocier pour y faire entrer ses exigences. Ce serait le retour d'une vraie vie parlementaire basée sur le débat et le compromis. Séduisant non ?

Un gouvernement d'experts

Hormis quelques fidèles, le gouvernement qui serait constitué par François Bayrou ne pourrait être issu du MoDem exclusivement. En effet, il serait impossible de vivre avec un parlement aux majorités multiformes et un gouvernement monolithique. Pour être acceptés, les membres du gouvernement devront être légitimes techniquement. Des gens qui connaissent leur sujet ou sont capables de devenir compétent[4]

Ce gouvernement d'experts serait composé de personnes MoDem-compatibles[5]. En effet puisque les majorités seront circonstancielles, il n'est pas nécessaire de renier ses convictions pour être ministre. On peut imaginer un ministre issu du PS choisi pour mener une partie du programme de Bayrou PS-compatible, et qui se verrait soutenu par le PS au parlement sur ce point.

On est bien ici dans une approche de projet et non de débauchage.

Le danger

Si une partie des parlementaires, incapables de s'adapter, se réfugient dans une posture partisane et refusent le fonctionnement basé sur le compromis, la mécanique peut s'enrayer, non pas sur les projets importants, mais dans la vie quotidienne du parlement et du gouvernement. Défendre l'idée d'une majorité à tout prix, de l'unité d'un groupe parlementaire, ralentirait le fonctionnement au détriment des débats sur le fond.

C'est le plus grand risque, car un système basé sur le compromis implique un travail des parlementaires, que tous ne font pas, épargnés qu'ils sont aujourd'hui par les consignes de vote données par leur parti.

Conclusion
  • Un parlement qui retrouve toute sa grandeur, avec des débats et des amendements qui servent à faire la loi et pas simplement être beau à la télé.
  • Un gouvernement obligé d'obtenir le consensus et non plus d'imposer son agenda.

Je trouve ça tout bonnement excitant. Pour le coup ce serait une sacrée réforme dans le fonctionnement de l'état, sans même avoir à changer la constitution.

Notes

[1] La question était la même en 2007.

[2] Ben oui, on ne forme pas diverses coalitions lorsque l'on est que 2 partis.

[3] Les chiffres existent, il faudrait les chercher, mais cela ne change rien au propos.

[4] Pas comme certains ministres du gouvernement actuel.

[5] Ben oui, je ne vois pas le MoDem faire des compromis avec les partis d'extrêmes.

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Commentaires

1. Le mardi 12 mai 2009, 15:41 par JG

En gros vous inventez la cohabitation à 3 (comme si c'était facile à 2 !). J'imagine bien les "ministres techniciens" aller quémander le vote des députés, une fois à gauche, une fois à droite. Votre idée part du principe qu'il y aurait toujours des députés pour voter une idée de F. Bayrou. D'où le président tirerait-il sa force ? Quand on voit que même Sarko n'arrive pas souvent à imposer son idée à l'UMP, on imagine les résultats. On peut penser que F. Bayrou serait en permanence en train de négocier par derrière des ralliements sur ses projets, tout le contraire de sa doctrine d'homme qui sait ce qu'il veut.

D'autre part on a déjà eu des "ministres techniciens" (C. Blanc, B. Laporte, C. Hégneré, C. Allègre), ils n'ont jamais été de grands ministres et pour cause, ils font de la technique, pas de la politique. Je me souviens de F. Mer, grand industriel pourtant, qui devait manger son chapeau lors des conférences de presse et qui était rappelé à l'ordre par l'Elysée.

Ensuite, la théorie du "parlement qui retrouve sa grandeur" est dans la bouche de tous les candidats à l'Elysée qui s'empressent tous de faire le contraire une fois élus. Avec un parlement qui sera à 80 % non Modem (il faut déjà qu'il fasse 20%, c'est pas gagné) F. Bayrou ferait pareil.

Moi en tant qu'électeur en tout cas, je ne donnerai pas ma voix au second tour à quelqu'un qui me dirait, on verra bien plus tard pour les détails. Non, F. Bayrou s'il veut avoir une chance de gouverner, doit construire un parti solide et aujourd'hui, c'est mal parti. L'entendez-vous souvent parler du Modem, moi pas ?

2. Le mardi 12 mai 2009, 21:09 par Cedric Augustin

Vous oubliez une chose fondamentale, c'est que le parlement est supposé aboutir à des lois justes et équilibrées par le débat et la confrontation d'idées, par des aller-retour entre les 2 chambres. Or que voit-on depuis des années ? Un parlement transformé en chambre d'enregistrement de projets pondus par des lobbies ou des technocrates avec une vision partielle. Les parlementaires ne font plus leur travail de lecture et relecture des projets. Conséquence, des lois arrivent à être promulguées avec un président de la république qui dit de ne pas les appliquer le temps de les supprimer, des lois votées avec le couteau sous la gorge de la majorité sont tellement mal écrites et inapplicables, que les décrets d'application ne sont jamais promulgués.

Redonner au parlement son rôle de lieu de débat n'est pas une petite réforme. Les partis majoritaires ne peuvent l'envisager car ils perdraient le pouvoir d'imposer leurs projets lorsqu'ils sont au gouvernement. Un parti minoritaire ne peut envisager la gouvernance que comme ça.

C'est une autre façon de gouverner, à laquelle nous ne sommes pas habitués, surtout avec le bipartisme. Le président dans ce rôle est arbitre et garant des valeurs, initiateur des grandes orientations et non le porte parole de telle ou telle loi. Les ministres rédigent le calendrier de travail des assemblées, mais ce sont elles au final qui font les lois.

Un juste retour aux sources.

3. Le mercredi 13 mai 2009, 11:48 par Christophe

L'approche développée par Cédric est très intéressante et donne un éclairage en partie nouveau, et profond, à ce qui caractérise le fonctionnement du MoDem "en situation de gouverner" (je m'étais déjà exprimé il y a deux ans sur la méthode interne, et ce que je disais avait le même sens): débats, compromis, décision la plus juste.
La voie choisie est la plus difficile et la moins "lisible", mais politiquement ambitieuse et efficace.
J'adhère.

Christophe T, candidat

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